[Article publié le 16 juillet 2020]
Le Sénat a adopté en première lecture, le 2 juin 2020, la proposition de loi n°3042 « tendant à définir et à coordonner les rôles respectifs des assurances et de la solidarité nationale dans le soutien des entreprises victimes d’une menace ou d’une crise sanitaire majeure ».
Le titre de la proposition de loi est révélateur de l’ambition (ou plus exactement de l’absence d’ambition) du dispositif actuellement en discussion.
En effet, en l’état actuel du texte, il ne s’agit pas d’un système d’indemnisation des dommages subis par les entreprises victimes d’une crise sanitaire majeure, mais uniquement d’un mécanisme de soutien. C’est ce qui ressort très clairement du montant de l’indemnisation que pourra réclamer un assuré, si une nouvelle épidémie venait à frapper la France.
Avant d’entrer plus en détail sur le calcul de l’indemnisation due par l’assureur ou le fonds d’aide qui sera institué, nous présenterons les grandes lignes du régime en gestation.
Les conditions d’octroi de la garantie contre les évènements sanitaires exceptionnels
Pour pouvoir bénéficier d’une couverture garantissant les conséquences d’un évènement sanitaire exceptionnel, les entreprises devront réunir les deux conditions cumulatives suivantes :
- Être bénéficiaires d’un contrat d’assurance multirisque professionnel couvrant les dommages d’incendie
- Justifier d’une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50% durant la période d’application des mesures d’urgence sanitaires (Ex. : confinement, fermeture des commerces…).
L’intervention du fonds d’aide à la garantie contre des évènements sanitaires exceptionnels
Les compagnies d’assurance seront tenues d’indemniser leurs assurés, sauf si les mesures sanitaires d’urgence s’appliquent :
- Pour une durée supérieure à 15 jours ou,
- Sur tout le territoire métropolitain.
Dans ces deux hypothèses, c’est le fonds d’aide, alimenté par un prélèvement annuel sur le produit des primes ou cotisations d’assurance de biens professionnels, qui prendra en charge les conséquences financières de la crise sanitaire.
Le calcul de l’indemnisation : le point faible du dispositif proposé
Dans sa rédaction actuelle, la proposition de loi prévoit que le montant de l’indemnisation versée à l’assuré correspond aux charges fixes d’exploitation constatées au cours de la période d’application des mesures sanitaires d’urgence.
Les charges fixes d’exploitation désignent, sur le plan comptable, les charges structurelles liées à l’existence de l’entreprise et qui ne sont pas fonction de l’activité de celle-ci. Il s’agit principalement des loyers, assurances, salaires du personnel, honoraires divers et amortissements des immobilisations.
Prendre comme référence les charges fixes d’exploitation est une dégradation des garanties pour les entreprises, qui bénéficient d’une prise en charge des pertes d’exploitation, en cas de fermeture administrative consécutive à une épidémie.
Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, nous sommes intervenus au soutien de nombreux professionnels souhaitant faire valoir les garanties « pertes d’exploitation » contenues dans leurs contrats d’assurance (multirisque professionnelle ou tous risques « sauf » principalement).
Dans lesdits contrats, la perte d’exploitation indemnisable correspond à la perte de marge brute, qui s’entend comme la différence entre le chiffre d’affaires corrigé de la variation des stocks, de la production immobilisée (prestations de services, vente de marchandises, production de biens) et des achats consommés (achats de matières premières, de marchandises, d’approvisionnement, corrigés de leur variation respective des stocks).
En pratique, pour obtenir une évaluation de la perte de marge brute, il convient de comparer le chiffre d’affaires réalisé l’année N, pendant la période d’application des mesures sanitaires d’urgence par rapport au chiffre d’affaires de l’année N-1 sur la même période et en y appliquant le taux de marge brute observé en N-1.
Indemniser la perte de marge brute est évidemment beaucoup plus favorable aux assurés, bénéficiaires d’une garantie « pertes d’exploitation ».
Prenons un exemple reposant sur un cas réel actuellement en cours de traitement au cabinet :
Un restaurant parisien est contraint de fermer son établissement, entre le 15 mars et le 2 juin 2020, en raison des mesures de confinement prises par le gouvernement pour endiguer la propagation de l’épidémie de Covid-19. En 2019, aux mêmes dates, l’établissement avait réalisé un chiffre d’affaires HT de 90 000 euros. Le taux de marge brute du restaurant étant de 56%, la perte d’exploitation indemnisable s’élève à un montant de 50.400 euros.
Pour le même restaurant, considérons maintenant ses charges fixes d’exploitation pour déterminer l’indemnisation à laquelle il pourra prétendre selon le dispositif proposé.
A la lecture de la proposition de loi, il convient de déduire des charges fixes d’exploitation :
- Les impôts, taxes et versements assimilés, soit une somme annuelle de 8 400 euros, et,
- Les aides versées au titre du chômage partiel, que nous évaluerons à un montant équivalent à 80% des salaires portés au bilan, soit 36 800 euros.
Les charges fixes d’exploitation indemnisables sont donc évaluées à un montant annuel de 50 200 euros, soit environ 10 500 euros pour deux mois et demi de fermeture administrative.
La preuve par l’exemple. Nous démontrons donc que si étaient retenues les charges fixes d’exploitation comme assiette de l’indemnisation, nous serions très loin de la demande qui aurait pu être formulée, en appliquant la garantie pertes d’exploitation (50 400 euros).
La volonté de créer un mécanisme d’indemnisation est louable, notamment sur le plan de la sécurité juridique, et ce, afin que tous les assurés puissent bénéficier de niveaux de garantie équivalents.
Néanmoins, un tel système ne pourra être satisfaisant, que dans la mesure où l’indemnisation versée est à la mesure des préjudices réellement subis, ce que ne permet pas la proposition de la loi dans sa version actuelle.